Ailleurs..


Tu viens de voir que ton métier d'exclu assisté consistait à être le grand méchant loup qui fait peur aux inclus productifs et leur apprend à rester bien sage. La combine marche tellement bien qu'il y aura bientôt plus de loups que de moutons. Certains pays à la pointe de la démocratie et de la liberté (Etats-Unis, au hasard) l'ont bien compris et ont entrepris de remettre un peu d'ordre.

Aux States, il y a officiellement moins de 5% de chômeurs. Il y a aussi 5% de la population en âge de travailler entaulée ou sous contrôle judiciaire serré, mais ça n'a rien à voir bien sûr. Un taulard n'est pas un demandeur d'emploi. Un ex-taulard accepte facilement n'importe quel travail à n'importe quel prix et dans n'importe quelles conditions. Note bien qu'on parle de prix, pas de salaire...

- Oui, peut-être, mais les USA, c'est loin ! A la rame, oui. Avec Internet c'est à moins de deux clics de chez toi... Mais parlons Europe. Belgique, par exemple. Le RMI local s'appelle Minimex.
« La dernière fois qu'ils ont eu autant de chômeurs qu'aujourd'hui, ça nous a coûté une guerre mondiale »
Depuis quelques années, devant l'explosion de la précarité et de la pauvreté, les finances publiques n'arrivent plus à suivre. Solution : la chasse à la "fraude". On ne met pas en taule mais on exclut des systèmes de solidarité sociale sous le plus petit prétexte. D'autre part, on restreint le nombre de chômeurs déclarés en leur imposant des boulots dans des conditions qui feraient rougir de honte qui n'a pas sa carte du MEDEF (lire le courrier de Benjamin).

Une autre ? Pays-Bas, cette fois. Officiellement moins de 5% de chômeurs. 20 % si on les compte comme on le ferait ailleurs. La différence ? Des braves gens qui travaillent. Une poignée d'heures par mois. Mais surtout plus de 10% de handicapés inaptes au travail. Pour devenir handicapé, il suffit d'être atteint de maladies graves, genre chômage longue durée, peu de qualification, origine étrangère, bref, ce qu'on appelle chez nous exclusion.

Encore ?
Espagne : récemment, tu n'auras pas manqué de lire dans ton canard préféré les articles sur ces esclaves (mais c'était des immigrés, hein...) de la production agricole compétitive qui se sont fait consciencieusement rationner pendant une paire de jours. Quant au métier le plus lucratif du pays, c'est directeur d'agence d'intérim.

Angleterre ? Voir Etats-Unis, mais cette fois à deux heures de train.

Allemagne ? La dernière fois qu'ils ont eu autant de chômeurs qu'aujourd'hui, ça nous a coûté une guerre mondiale.

Italie ? Si les secteurs gris de l'économie n'étaient pas si importants, il n'y aurait plus d'Italie.

On arrête là le massacre, ça n'a rien de drôle. Il est aujourd'hui impossible de faire des comparaisons entre pays : les chiffres ne sont jamais calculés de la même façon . Ce n'est pas un hasard. Mais tu as tout sous la main, en France, en bas de chez toi. Actuellement , les syndicats représentatifs et le patronat sont en train de tailler un short dans ce qu'il reste de protection des travailleurs. Celle des non-travailleurs est en cours d'embaumement pour l'exposer au musée. Certes, il est temps que la société évolue. Dommage que ça tombe juste au moment où les plus faibles ne sont plus représentés officiellement.

Le chiffre de 60 millions de pauvres est couramment accepté pour l'Europe des 15. Pour 250 millions d'habitants. Les dix dernières années ont été catastrophiques à un point tel que les dirigeants refusent d'affronter la réalité autrement qu'en augmentant crédits et entraînements des forces de sécurité et en élargissant l'offre pénitentiaire. La reprise de la croissance va faire rêver beaucoup de monde, la déception va être terrible.

En France, la Une du jour est consacrée au franchissement dans le bon sens de la barre des 10% de chômeurs. Parfois, un beau graphique en page intérieure rappelle l'évolution sur les 25 dernières années.
Quel chiffre retenir ? Laisse tomber le 10% trop sujet à caution et regarde d'un peu plus près ce que peut bien signifier 25 années de crise. 25 ans ! Le tiers d'une vie standard. Ou la moitié d'une vie d'exclu, si tu préfères.

Entendre quotidiennement, pendant 25 ans, parler du chômage. Pour certains, des années de galères sans nom, des blessures profondes, des humiliations innombrables. Quelques suicides, beaucoup d'ulcères, de nombreuses insomnies plus un nombre inconnu de folies. Pour ceux qui se les sont pris en pleine tête, ces 25 ans, les dégâts sont considérables.

Beaucoup se sont battus comme des diables, du moins au début. Mais on ne peut se battre pendant 25 ans sans écoper de balles perdues. Il y a une limite à ce que peut endurer un individu. Et quel que soit le plein emploi qui remplit aujourd'hui les manchettes, avec un rien d'anticipation, toute une tranche de population est définitivement hors course. Physiquement et moralement.

Reste plus qu'à les abattre. Le peloton est en train de se mettre en place : celui qui ne travaille pas est pire que le fainéant, le profiteur, l'assisté qu'il était avant. Il est le traître. Celui qui affirme par sa seule existence que le bien-être et le pouvoir d'achat du plus grand nombre s'est construit sur le sacrifice de 10% de la population. Tiens, on retrouve le 10 % !

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