Avec le RMI,draguer ça craint!!!

Certes, les longues heures d'attente à la CAF favorisent les rencontres.
Certes, se retrouver d'un guichet à l'autre fini par créer des liens.
Certes, il est facile d'engager une conversation devant les listings de l'ANPE.

De là à faire exclusion commune !

Tu es bien sûr au courant que la misère sexuelle déborde largement du petit monde de l'exclusion, très largement, tellement que c'est même la norme. Tu es conscient que malgré de prétendues révolutions et/ou libérations tout reste à faire ou presque et que les vantardises sont infiniment plus fréquentes que les bons coups. Tu admets aussi qu'on n'a pas inventé grand chose en la matière depuis l'origine de l'Homme.

Bon. Ca va nous faire gagner du temps et on va pouvoir se concentrer sur ce qui t'intéresse : comment qu'on baise quand on est exclu ? Réponse : comme tout le monde. Avec malgré tout un bémol : l'exclusion c'est pas bandant. Voilà, tu sais tout, le reste de la page n'est là que pour meubler et tu peux zapper maintenant.

Pour draguer, le RMI n'est pas ce qu'on a trouvé de mieux. N'accable pas Rocard, ce n'était pas sa principale préoccupation.
« si tu déclares ta flamme au conjoint de ta vie, oublie d'en parler à la CAF »
Au point qu'il a même réussi à saloper sa copie : deux RMIstes qui décideraient de se la jouer en couple risquent fort d'y laisser des plumes. A savoir, deux RMI "personne isolée" à 400 e chacun deviennent un RMI "couple" à 600 pour deux. Petit conseil gratuit : si tu déclares ta flamme au conjoint de ta vie, oublie d'en parler à la CAF. C'est le fameux problème : si ceux qui foutent rien gagnent autant que l'honnête smicard, où va l'monde ?

Bien sûr, c'est illégal de ne pas informer l'administration et en cas de contrôle il va falloir négocier serré... Désolé de parler fric dès le début d'une histoire d'amour, mais l'exclusion étant ce qu'elle est les problèmes d'argent n'incitent guère à la bagatelle. Libido et RMI ne jouent pas dans la même catégorie.

Difficile dans ces conditions de parler cul sur un site à la gloire de l'exclusion. Tu dois en effet te douter que la position la plus utilisée est l'abstinence. Cela te met à l'abri de pas mal de maladies inconfortables et tu fais des économies de capotes, mais ce n'est pas vraiment le pied.

Pourtant dans la pire galère peut se glisser un rayon de soleil. La misère au quotidien peut aussi te permettre de redéfinir quelques priorités. Tu as déjà appris que l'argent n'était pas indispensable pour vivre, que les modèles de comportement ne sont que des modèles et qu'il n'est pas indispensable d'être reconnu par la société pour exister. Puisque maintenant tu as l'habitude de remettre en question les évidences, pourquoi t'arrêter en si bon chemin ?

Commençons par le commencement : avant le couple il y a deux personnes seules. Comment vis-tu ta sexualité quand tu es seul et en galère. Très mal au début, tant que les hormones te joueront des tours. Puis très vite les problèmes de survie auront des conséquences notables sur le fonctionnement de tes glandes préférées et le désir sexuel disparaîtra presque totalement derrière d'autres urgences. Lorsque tu en es encore au stade manger dormir, tous les autres besoins deviennent superflus.

Une fois le ventre plein, c'est une autre paire de manches. Ton corps recommencera à te faire savoir ses envies et tu vas comprendre ce que frustration veut dire. Le quidam moyen maîtrise assez mal sa sexualité, surtout en état de manque, et chez les moins solides cela peut devenir dangereux pour tout ce qui bouge alentour. Si cela devait t'arriver, sache qu'en prison les pointeurs (auteurs de délits/crimes de moeurs) sont très mal tolérés par les autres détenus et guère mieux par les gardiens.

Alors essaie de rester humain et de garder le sens de la mesure. Le plus raisonnable est de se calmer à la main (d'où le sens de la mesure...). Cela n'arrange pas la frustration, au contraire même, mais cela rabote l'obsession. Et dès que l'envie recommence à te monter à la gorge, tu sais ce qu'il te reste à faire.
« dès que l'envie recommence à te monter à la gorge, tu sais ce qu'il te reste à faire »
Cette manipulation est infiniment plus répandue que ce que chaque individu est prêt à reconnaître en public. En dehors de l'exclusion aussi, quelle question !

Une fois bien installé dans ton nouveau métier d'exclu, tu finiras aisément par trouver tout un réseau d'opportunités pour pas cher. Le manque d'amour étant fort répandu, il est assez facile de faire des rencontres sans lendemain. Dans chaque ville se trouvent des lieux de rencontres pour quémandeurs d'un moment d'oubli, dans toutes campagnes se trouvent des personnes souhaitant un instant d'oubli. Évite quand même de te conduire en bête, la tendresse n'est pas interdite.

Il arrive parfois qu'un petit boulot soit payé en nature. N'espère pas t'incruster pour si peu mais range plutôt l'instant dans tes souvenirs, ça pourra servir plus tard pendant les périodes de pénurie.

Certains trouvent malin de zoner autour des foyers qui accueillent des femmes en perdition. C'est toi qui vois mais c'est prendre des risques inutilement. S'il est relativement facile d'y faire des rencontres, il ne faut pas oublier qu'il s'agit d'une population fragilisée. En profiter manquerait de classe, non ? Et puis il arrive que les ex fréquentent aussi le quartier mais pour d'autres motifs. Gaffe, ce sont très souvent des violents difficiles à raisonner.

Tu peux aussi te mettre à fréquenter assidûment certains jardins publics présents dans chaque ville de quelque importance. Là aussi c'est toi qui vois, on y rencontre parfois des homosexuels à l'ancienne qui assument mal leur préférence.

Tu rencontreras aussi de plus en plus d'étudiant(e)s prêt(e)s à beaucoup de choses pour un billet ou deux. Que des jeunes utilisent la prostitution occasionnelle pour pouvoir continuer leurs études n'est pas forcément le signe d'un avenir radieux. Note que ce type de prostitution est en train de devenir un petit boulot comme un autre. Cela ne se limite pas aux étudiant(e)s, trop de fins de mois sont ainsi arrondies dans bien des foyers insoupçonnables. Quand il devient possible de négocier les tarifs, c'est que quelque chose ne va pas...

Tu me diras que ce n'est pas ton problème. Tu pourrais t'entendre répondre que rien ne t'oblige à te comporter en salaud. Tu seras peut-être effrayé de constater ce que tu peux obtenir pour trois fois rien. Si tu rentres dans ce circuit, tâche au moins d'avoir l'élégance d'être tendre et généreux, même si cela doit espacer tes visites et t'obliger à te finir à la main une fois de plus.

Et n'oublie pas, on distribue des préservatifs dans presque tous les endroits que tu seras amené à fréquenter régulièrement. La diversité des partenaires multiplie les risques, plus d'excuses pour ignorer cela aujourd'hui.

Envisager la vie à deux demande un minimum de confiance dans l'avenir. Partager quand on n'a pas assez pour soi, c'est beau, c'est grand, ça redonne confiance en l'humanité. Au quotidien, cela perd un peu de son brillant et ça peut devenir pénible à vivre. Pourtant, bien des exclus tentent l'aventure. Parce que la solitude, à la longue, ça rend con et qu'il paraît que la masturbation, elle, rend sourd. Comme si tu n'avais déjà pas assez d'ennuis comme ça.

Le mariage d'argent étant assez rare dans le monde de l'exclusion, reste la raison et le coup de foudre. Est-il raisonnable de croire que la misère à deux est plus facile à vivre ? Peut-être. Tu peux au moins supposer que ça ne risque guère d'être pire. Quant au coup de foudre mieux vaut ne pas trop compter dessus, ton statut te rendant littéralement invisible aux yeux de l'immense majorité des inclus. Tu auras l'air malin si tu te mets à remuer de la queue devant quelqu'un incapable de concevoir ton existence...

Entendons-nous bien : envisager la vie de couple suppose que tu n'es pas complètement destroy et que tu te comportes à peu près en être humain.
Notamment à propos d'hygiène car les odeurs aussi seront mises en commun. Et rappelle-toi que l'alcool n'aide guère à faire bon ménage.

Comment trouver l'âme soeur/frère ? Pas de panique, ce n'est pas si compliqué. Lors du dernier recensement de la population, l'INSEE n'a pu que constater la multiplication des foyers composés d'une seule personne. Parmi tou(te)s ces solitaires, beaucoup le sont par défaut. De nombreux séparé(e)s, divorcé(e)s ou en instance de. Plus quelques-un(e)s convaincu(e)s qu'avec la gueule qu'ils(elles) ont, ils(elles) n'ont que ce qu'ils(elles) méritent. L'offre existe donc, le problème se résumant à oser la demande.

Ta formation d'exclu va te servir. Tu sais maintenant repérer du premier coup d'oeil le(la) solitaire malgré lui(elle) dans les files d'attentes. A toi de parler, parce que si tu attends que ça te tombe tout rôti dans la main... Tu n'es pas obligé de rester confiné dans l'exclusion, au contraire même, rappelle-toi : la solitude ratisse large.

Ah, évidemment, le premier contact n'est pas facile. Ne t'attends pas à trouver ici une recette infaillible, cela n'existe pas. Paradoxalement, une fois la glace brisée, tout va très vite, c'est oui ou non, c'est copain copain ou plus si affinité très rapidement.

C'est que si le besoin est trop présent la moindre rencontre prend une autre dimension. Si en plus l'autre personne a fait le même parcours que toi, elle saura également faire abstraction de toutes les simagrées sociales que l'on pratique habituellement. Le manque d'amour impose l'urgence, il y a du retard à rattraper, le besoin de tendresse permet de s'affranchir de bien des hésitations.

Attention quand même. Le respect de l'autre est primordial et ne t'avise pas de jouer avec ses sentiments. Précise dès le départ tes intentions et tiens la rubrique à jour en cas d'évolution. La plupart des solitaires ont quelques vieilles blessures mal cicatrisées et il serait franchement dégueulasse d'en rajouter, d'autant qu'il y a de fortes chances que ce soit aussi ton cas. "Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu'on te fasse" (Lao Tseu ?).

Redécouvrir la vie à deux n'est pas une mince affaire quand on débarque de son exclusion préférée. Cette tranche de normalité peut rouvrir en grand les vannes qui retenaient des années de frustrations diverses. Ne plus être seul risque de te faire croire que tu es redevenu comme tout le monde, avec tous les besoins qui vont avec. Si la chose t'arrive ton joli couple tout neuf va voler en éclats très très vite. Il faut être fortiche en lucidité et en humilité pour réussir. Il y a aussi (surtout ?) un gros travail à faire pour réapprendre la confiance. En soi autant qu'en l'autre.

En contrepartie, ta vie de couple peut prendre une ampleur inattendue. Les épreuves partagées individuellement et mises en commun, celles surmontées ensembles apportent une dimension supplémentaire.
Les unions improbables issues de l'adversité acquièrent parfois une force, une intensité rare. On retrouve la même lumière chez certains de ceux qui se sont unis pendant des guerres ou des luttes. Peut-être faut-il la souffrance pour que l'Homme libère sa valeur, peut-être est-ce la conscience de ce qu'aurait pu être la vie sans l'autre, va savoir.

La vie à deux peut transcender ton avenir. Ca peut tout aussi bien te le saloper, mais tu auras ta part de libre-arbitre. Une solide pratique de la solitude peut devenir une bonne base pour construire quelque chose de durable à deux, mais si tu continues à garder les mêmes comportements que lorsque tu étais seul, ça va mal se terminer, ton truc.

Maintenant, il faut prendre les décisions à deux et accepter de ne plus avoir toujours raison. Il faut redécouvrir le dialogue, oublier toutes ces histoires que tu inventais en permanence pour exister devant les copains et recommencer à écouter l'autre avant de parler. Bref, reconnaître que tu n'es pas le centre du monde.

Si tu devais le réussir, ton couple, tu pourrais bien avoir à tirer un trait sur tes années de pro de l'exclusion. S'il est une réinsertion qui ne soit pas une arnaque, c'est bien celle-là, même si ta nouvelle vie ne sera pas toujours rose à cause de trop de cicatrices sensibles.

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