CMU...

Depuis que les bonnes soeurs sont retournées dans leurs couvents c'est l'Etat qui assure le service après-vente des citoyens indigents devenus zonards et plus récemment exclus avant de finir parmi les plus démunis. Le plus fauché des clodos peut donc se pointer à la porte de n'importe quel médecin, dispensaire ou hôpital pour y être soigné, c'est le contribuable qui paiera la facture. Ca, c'est la réalité sur l'affiche.

Celle du terrain ayant une certaine tendance à s'écarter de cette belle fraternité, il est apparu nécessaire d'instaurer des passerelles plus solides entre misère et bonne santé.

« les médecins font payer le prix fort à la société leurs années de jeunesse perdues à potasser le Vidal »

Certes il y a des hôpitaux où on soigne avant de remplir la paperasse et des médecins qui prescrivent plus par déontologie que par appât du gain. Mais faut chercher. Ce n'est quand même pas pour le plaisir qu'Aubry (ex-ministre d'un tas de chose) s'est mise récemment à distribuer des couvertures à six millions de personnes .

Six millions de personnes concernées par cette rustine ! Dans un pays si riche, qui aurait pensé que la situation était si craignos ? Tu le savais, toi, que c'était si grave ? Pourtant quelques indices auraient pu te mettre la puce à l'oreille. Par exemple le fait qu'il existe un Yacht Club Médical alors que les galères sont individuelles. Ne va pas pour autant penser que les médecins font payer le prix fort à la société leurs années de jeunesse perdues à potasser le Vidal, ce n'est pas parce qu'on parle généraliste qu'il faut généraliser.
Quoique. Si tu respectes la règle qui prévoit des exceptions à toutes règles...

Exclusion et bonne santé ne font pas bon ménage, pas la peine de raconter des bobards. Malnutrition, fatigue, stress, crasse, alcool, intempéries, tout concourt à te faire des trous dans la peau. Les pathologies que tu rencontres sont les mêmes que celles qui ruinent les trottoirs de Manille ou de Calcutta mais chut, hein, faut pas le dire.

Et d'abord c'est de ta faute, tu n'avais qu'à consulter quand il était encore temps. Et si tu te lavais plus souvent ça irait tout de suite mieux. Laisse tomber, tu perds ton temps.

« on va arrêter là car tu risquerais de ne plus être aussi décidé à devenir toi aussi un exclu, ce qui serait dommage »

Quand tu bouffes deux Vache qui rit par jour, tu peux te laver les quenottes tant que tu veux elles ne refleuriront pas toutes au printemps. On reconnaît facilement l'exclu à sa dentition : ça ressemble à un clavier de piano...

Les crocs, c'est le premier truc qui lâche. Ensuite, c'est les poumons. Un hiver à battre la semelle suffit à te les bouffer à un point qu'un toubib qui te les radiographierait appellerait un dépanneur pour faire régler son appareil. En prime, il te conseillerait vivement d'arrêter de fumer. Brave homme ! Dans la rue, une bronchite est une maladie mortelle, faut-il être instruit pour ne pas comprendre ça.

La crasse, les vêtements bimensuels provoquent des maladies de peau à n'en plus finir. Le clodo qui se gratte n'a pas de puces mais une collection de saloperies dermatologiques qui lui pourrissent la vie. Les pieds surtout en prennent plein la tronche. Non seulement tu gardes godasses et chaussettes en permanence, mais en plus tu fais des kilomètres et des kilomètres chaque jour (lire le courrier de tropbizarre). Dormir à la dure n'arrange pas non plus les articulations fragilisées par les carences alimentaires. Mais on va arrêter là car tu risquerais de ne plus être aussi décidé à devenir toi aussi un exclu, ce qui serait dommage.

Pourquoi ne pas aller voir un médecin avant que les choses tournent mal ? Mais mon vieux, quand tu n'as pas de quoi bouffer à ta faim les problèmes de santé n'existent pas. Ce n'est pas raisonnable ? Non, mais ta raison aussi est passée à la trappe. La survie ne s'encombre pas de choses inutiles. Un estomac mû par l'instinct, voilà ce que tu es, le reste est inscrit aux abonnés absents.

Ce n'est que quand tu commenceras à fréquenter les asiles ou les foyers que tu seras amené à croiser le regard d'un toubib. Par chance, les médecins qui quittent leurs salons mondains pour venir se frotter à la misère sont volontaires et souvent bénévoles. Ca améliore beaucoup le contact.

La première visite est souvent imposée par un règlement quelconque. Tout le travail du toubib va être de te trouver un petit truc bien gênant mais facile à soigner et il va t'arranger ça en deux coups de cuillère à pot.

« les associations de terrain le répètent depuis des années : il y a un énorme problème psychiatrique caché dans l'exclusion »

Rusé, c'est pour mieux t'attraper qu'il manoeuvre ainsi. C'est que l'exclu n'a pas la demande de soin facile à force de nier l'existence de ses besoins. Il est parfois impossible de rétablir une conscience du corps suffisante pour entreprendre une hypothétique remise en état et l'exclu peut difficilement envisager des traitements à long terme.

Si l'état de la viande est de mieux en mieux surveillé, il reste un gros morceau sur l'étal. Toutes les associations de terrain le répètent depuis des années : il y a un énorme problème psychiatrique caché dans l'exclusion (sauras-tu le retrouver ?). Or décider un réducteur de tête à travailler gratos sur une population salement atteinte est semble-t-il un combat perdu d'avance (note 2 et mizajour 14/02/02). Peut-être les psy-choses ont-ils conscience de la vanité de leur savoir et ne se sentent-ils pas trop tentés de le mettre à l'épreuve sur du sérieux. Et puis ils sont déjà débordés et mieux payés avec les enseignants...

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