Consultation sur trotoire humide..


Bon, alors parlons de Médecins du Monde. Depuis de nombreuses années, cette association connue du grand public pour intervenir partout dans le monde intervient effectivement partout dans le monde. Y compris en bas de chez toi. C'est d'ailleurs en France qu'ils ont leur plus grosse mission et cela ne doit rien au hasard. C'est que notre chère Sécu, malgré le déficit qu'elle se trimballe, laisse de côté toute une partie de la population.

Tous les SDF bien nés connaissent les adresses, au moins une par ville de quelque importance. Accueil sans formalité autre qu'un minimum de renseignements permettant de constituer un dossier de santé. Il faut parfois prendre rendez-vous, c'est la rançon du succès, mais il est toujours possible de se faufiler dans la salle d'attente.

« Se coltiner tout ce que la société cache sous le tapis, c'est quelque chose ! »

Un coup d'oeil alentour renseigne bien sur les populations exclues du système de santé. Du p'tit vieux, du clodo, du junky, du jeunot en rupture de société, du sans papier, du avec papier mais qui ne parle pas le français, et le reste sous forme d'exclus standards. Bref, ça fait du monde, d'où l'appellation de la boutique.

Quand ton tour arrive, tu tombes le plus souvent sur un(e) jeune toubib. Difficile apparemment dans ce métier de rester motivé en prenant de l'âge et du compte en banque, mais passons... C'est vrai aussi que le boulot qu'on leur demande n'est pas des plus facile. Se coltiner tout ce que la société cache sous le tapis, c'est quelque chose ! Certes, la plupart des pathologies rencontrées seraient faciles à soigner si elles étaient prisent à temps, mais on a vu plus haut que l'exclu n'était pas très préventif en matière de santé.

En conséquence, les doses de pénicilline tiennent de l'école vétérinaire, mais faut savoir ce que tu veux. L'avantage de Médecins du Monde, c'est que tu n'as pas à passer à la pharmacie, c'est le toubib lui-même qui te donne les médocs. Pour cela, il puise dans un stock que tu n'as pas besoin de savoir d'où ça vient. Souvent, il te faudra repasser sous 2/3 jours pour compléter ton traitement. C'est surtout histoire pour le toubib de faire plus ample connaissance, mon enfant.

Accessoirement, un passage à Médecins de Monde favorise grandement la mise à jour de ton existence sécurité-socialesque. Ca facilitera énormément tes prochains contacts avec la gent médicale, surtout hospitalière. Ce n'est pas que sans numéro de sécu on te laisse crever dans les couloirs, mais la loi et l'application de la loi sont deux choses séparées par des papiers à remplir.

Le gros problème des soins pour les exclus, c'est la durée du traitement. Déjà qu'il a presque fallu te traîner pour que tu te décides à consulter, si en plus ça dure pendant des semaines, voire des mois... Vivre au jour le jour n'arrange vraiment pas la santé, et en cas de pépin sérieux, ça risque de mal se terminer, ton histoire. La durée de vie de l'exclu standard vole bas alors baisse la tête.

Tiens, rien que pour te soigner les quenottes. Le jour où tu poses enfin ton cul sur la chaise électrique d'un dentiste, tu es assuré de t'en prendre au moins pour six mois de soins hebdomadaires. Que tu es bien incapable de savoir où tu seras la semaine suivante... Résultat, tu laisses pourrir jusqu'à ce que la seule solution soit de tout raser en une seule fois à l'hôpital. Une chance que tu carbures à la Vache qui rit et au pâté de foie, hein...


Bien sûr, si ton état l'exige on te trouvera une place à l'hôpital. Mais faut vraiment qu'il exige très fort, ton état. Reconnaissons cependant qu'une fois inscrit sur les rôles de l'hôtel-dieu du coin, tu deviens un patient lambda soigné ni plus mal ni moins bien que n'importe quel autre numéro de sécu hospitalisé avec toi. N'espère donc pas que ton itinéraire d'exclu soit pris en compte pour adapter le traitement. Un toubib normal ignore absolument tout de tes conditions de vie, à toi de faire avec.

Tout au plus te conseillera-t-il d'arrêter la picole, le tabac, la drogue ou la prostitution, parce que c'est tout ce qu'exclusion lui suggère. Que tu ne bouffes pas à ta faim, que tu sois incapable ne serait-ce que d'épeler "équilibre alimentaire", que tu crèves de froid, de frustrations ou de solitude, que tu sois devenu au trois-quarts barge à force de souffrir, c'est ton problème, que veux-tu qu'il y fasse ? Rien, effectivement.

Le plus démoralisant, c'est quand tu joues le jeu de la réinsertion. Le premier pas de cette réinsertion est très précisément la redécouverte de son corps. Et donc de ses besoins.

Tant que tu es à la rue, tu peux facilement être en train de crever sans avoir l'impression d'avoir le moindre problème de santé. Le stade manger dormir dont il a été plusieurs fois question dans ces pages. Mais dès que tu retrouves un appart, un petit boulot, tu peux t'attendre à voir les tuiles te tomber dessus.

C'est ainsi que tout content de ton nouvel appart payé par la CAF et de tes beaux meubles d'occase offerts par Emmaüs ou Saint Vincent de Paul, tu décides de te remettre à travailler. Et pour un type pas fainéant comme toi, prêt à tout accepter à n'importe quel tarif et pour le nombres d'heure qu'il faut, trouver du travail n'est pas bien difficile. Ce n'est pas les négriers qui manquent. Entre nous, serait bien étonnant que tu te la finisses, ta première semaine de boulot...

C'est qu'il ne suffit pas de vouloir. Des mois de malnutrition, de manque de sommeil, de stress ne vont pas disparaître comme ça, parce que tu n'en as plus besoin. Découvrir cette réalité va te faire un rude coup au moral et tu risques fort de baisser les bras rapidement, perclus de courbatures. Courage, tu en verras d'autres. Le secret est de laisser le temps au temps. Tu ne peux plus arquer après quelques jours de boulot ? Et alors ! Essaye de récupérer ta paie car tout travail mérite salaire et prends des vacances le temps de te refaire quelques forces. S'il faut dix, vingt ou trente essais avant que la machine redémarre, te gêne pas.

Après chaque atterrissage sur le ventre, tu vas déprimer, penser que tu n'es bon à rien et que tu n'as que ce que tu mérite. Relax, c'est normal. Disons que tu fais le deuil de ton emploi perdu. Jusqu'au jour où tu te sentiras des envies d'y retourner. Attention tout de même : cette alternance de déprime et d'euphorie risque de te donner l'idée de lisser ton humeur à coup de gros rouge ou de psychotropes. Si cela devait t'arriver, tu perdrais ton statut d'exclu pour n'être qu'un simple malade dépendant, ce qui ne présente aucun intérêt.

Commentaires