Incacération...


Puisque tu ambitionnes de devenir prévenu, autant être prévenu que l'accès à la prison ne se fera pas sans quelques concessions. Par exemple, la fouille réglementaire que tout détenu subit comprend également la visite de l'anus. Même si cette opération est faite avec doigté, elle surprend toujours un peu la première fois. Et elle sera effectuée à chaque fois que tu auras eu un contact avec quelqu'un de l'extérieur, visiteur ou avocat, par exemple.

Tu auras probablement l'occasion de voir des gars s'effondrer psychologiquement. Observer un vrai dur de quarante ans pleurer comme un enfant est une expérience intéressante. Il serait étonnant que tu n'y passes pas toi aussi, cela t'aidera à comprendre le pourquoi. En général, cela ne porte pas à conséquences. Profites'en donc pour réfléchir sur les notions d'humanité, de justice et de dignité. Sauf si tu es d'un naturel dépressif bien sûr.

Le fait de vivre 22 ou 23 heures sur 24 à deux ou trois, parfois quatre, dans 9 mètres carré, surface moyenne d'une cellule, peut générer des problèmes. 9 mètres carrés, pour te donner une idée, c'est la surface d'une honnête place de parking.

La 24ème heure se passe obligatoirement en promenade, à tourner en rond dans une cour recouverte d'un filet métallique anti-hélicoptère et surveillée par des miradors pour assurer ta sécurité. C'est là que tu fais du commerce avec tes amis et te fais dépouiller par les autres. Pendant ce temps, les surveillants fouillent ta cellule.

Dans ces 9 mètres carrés de cellule, on trouve trois lits, un lavabo, une table, trois tabourets, une télé, un chiotte "à ciel ouvert", un radiateur et trois fois 70kg de détenus avec affaires personnelles. Essaie de faire tenir tout ça sur une place de parking et tu auras plus de respect pour l'administration pénitentiaire. La fenêtre minuscule est en hauteur et généreusement pourvue en solides barres d'acier.

La porte est recouverte d'un blindage métallique. Le sol est en ciment brut. La peinture du béton mural est pisseuse, quelle que soit sa couleur d'origine. Les lits et couchages sont de type militaire superposable. Seule touche de tendresse, le lavabo est blanc.

Le chiotte à ciel ouvert consiste en un chiotte parfois entouré d'un muret d'un mètre de hauteur maximum. Il permet aux gardiens de surveiller l'ensemble de la cellule d'un seul coup d'oeil par le judas de la porte et à tes codétenus de partager ton intimité. Le nouvel arrivant en sera constipé pendant quelques jours mais finira par se soumettre.

La lumière est commandée par les surveillants. En règle générale, le réveil à lieu entre 6 et 7 heures, et l'extinction des feux et des télés vers 23 heures.
Le seul interrupteur installé dans la cellule permet d'appeler les surveillants en cas d'urgence. Il est recommandé d'en user avec parcimonie, ni la disponibilité ni l'humour ne faisant partie de la formation des gardiens.

Lorsque tu es embastillé, la privation de liberté n'est pas le plus dur à supporter. Ni les diverses atteintes à ce qu'il te reste de dignité. La véritable peine c'est le bruit. Métallique pour les portes, les grilles, les clés. Bovin pour tous les déplacements en troupeaux dans les couloirs et les escaliers. Rythmé lorsque les surveillants sondent à la matraque la résistance des barreaux de chaque fenêtre pendant la promenade. Incohérent lorsque 100 télés fonctionnent avec 50 postes de radio. Abrutissant quand 300 personnes vivent entassés dans quelques mètres carrés. Le restant de ta vie en sera changé.

Pire, toute ton attention est focalisée sur ce bruit. Parce que c'est la principale source d'information à ta disposition. Le bruit t'indique l'heure des repas, de la douche, de la promenade. Tu essaies de deviner quelle cellule vient de s'ouvrir et pour quel motif. Tu guettes la position des surveillants, des détenus chargés du ménage ou de la distribution de livres. Tu attrapes vite une oreille de concierge dont tu ne pourras plus jamais te débarrasser.

Si tu peux te le permettre, évite de recevoir des visites au parloir. La promiscuité, les voix et les parfums de femmes, les pleurs et les rires d'enfants, les odeurs de l'extérieur en ont fait craquer plus d'un, autrement plus solides que toi.

Le coiffeur est gratuit, n'hésite pas à demander. Sauf si tu n'as pas de tabac, ou si le détenu chargé du "salon" est maçon dans le civil bien sûr. Le matériel, tabouret et tondeuse, est installé dans une cage de fouille.

Tu peux cantiner de la bière sans problème. On ne livre que de la sans alcool, mais les combines permettant de remédier à cette caractéristique sont nombreuses et on te renseignera rapidement. Attention toutefois à bien connaître tes voisins de cellule, certains ayant la cuite méchante.

Pour compenser, il y a les médocs. Exige de voir le toubib dès ton arrivée, la consommation est encouragée par l'administration qui y trouve un moyen efficace d'assurer le calme dans les cellules. En les stockant et en testant divers mélanges, tu peux espérer obtenir des effets intéressant, mais ça ne marche pas à tous les coups.

Ne crois pas tout ce qu'on raconte à propos des suicides de détenus. Moins d'une centaine par an, ils ont lieu essentiellement les tout premiers jours d'incarcération et aux abords du procès. Bourre-toi de médocs pendant ces périodes et tout ira bien.

N'aie pas peur non plus de la violence entre détenus, il n'y a pas tant de morts violentes que ça en cellule. Les blessures ne sont pas comptabilisées, bien sûr, parce que les gardiens ne peuvent jamais déterminer si la victime ne s'est pas auto-mutilée. Méfie-toi quand même des cellules, escaliers, couloirs, douches et cour de promenade.

Les agressions sexuelles entre détenus ne doivent pas t'inquiéter. Compte tenu qu'il n'y a que trois personnes par cellules, même si ça tournait mal pour toi ce serait vite passé. De plus, le nombre de viols reconnus pas l'administration pénitentiaire et ayant donné lieu à des poursuites est vraiment dérisoire. Quant aux agressions provenant des gardiens, elles se concentrent généralement sur les travestis.

Les malades mentaux n'ayant pas leur place en prison peuvent être dangereux, mais leurs crises ne durent jamais bien longtemps. N'hésite pas à frapper le premier. Les surveillants connaissent leurs clients et le plus souvent tu n'auras pas d'ennuis pour ça.

Dans toutes les maisons d'arrêts, il y a des possibilités de faire rentrer de la drogue. N'oublie pas que tu n'es pas un taulard comme les autres, tu es en train de suivre une formation pour devenir exclu. La drogue est certes une très bonne façon d'y parvenir, mais pour un novice, il vaut mieux éviter de suivre deux pistes en même temps. Tu pourras toujours y venir une fois que tu seras libéré. Et puis le tarif de la barrette dans la cour de promenade n'est pas raisonnable.

Jusqu'à ces derniers temps, il était possible de faire des affaires avec les surveillants. Des imprudences ayant été commises, renseigne-toi avant de tenter le coup.

Sauf provocation, tu n'as rien à redouter des surveillants. La définition de la provocation n'ayant pas encore été portée à la connaissance du personnel, il vaut mieux rester prudent et limiter les contacts au maximum.

La qualité de la nourriture n'est pas un motif suffisant pour vouloir faire un stage en maison d'arrêt. Avec quelques francs pour trois repas par jour et par personne, l'administration ne peut pas faire de miracle. D'où l'importance de pouvoir cantiner pour améliorer l'ordinaire.

A propos de repas : il n'existe aucun réfectoire dans aucune prison française. Tous les repas se prennent tièdes et en cellule. Arrête un peu de confondre réalité et cinéma hollywoodien.

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