insertion...!

Tu le savais, toi, que tu t'étais déjà fait insérer ? Pourtant, ré-insertion, hein... Et bien parlons-en un peu, de cette primo-insertion.

A peine né(e), la famille et les voisins de palier s'extasient déjà sur ta ressemblance frappante avec certain qui parfois s'en passerait bien. Le mal est fait : tu fais partie de la famille. Cela implique que pour de longues années, on se chargera de penser à ta place et pour ton bien. Gare à tes fesses si tu prétends discuter ce qu'on t'enseigne. Au début, on te montre quelques modèles à reproduire : papa, maman pour commencer facile.

Avant que tu saches pisser sans mouiller tes chaussures, on t'envoie à l'école. Maternelle pour commencer en tendresse.
« pour exister, tu dois gueuler plus fort que le copain. Ou lui retourner une torgnole pour qu'il la ferme un peu. Ou courir te réfugier dans les jupes de la maîtresse »
La tendresse, à la maternelle, c'est quelque chose ! Un tas de braillards entassés dans un préfabriqué où le bruit devient aussitôt invraisemblable, que si une commission d'experts le mesurait elle ferait vérifier ses instruments, incrédule.

Et ce sont les premières grandes leçons : pour exister, tu dois gueuler plus fort que le copain. Ou lui retourner une torgnole pour qu'il la ferme un peu. Ou courir te réfugier dans les jupes de la maîtresse. Lorsque tu auras bien assimilé ces trois méthodes, tu seras prêt à affronter le monde des grands.

On te changera d'école. Voici le temps de l'éducation. En France, l'éducation est le plus souvent nationale. Ceux qui rentrent aujourd'hui en cours préparatoire en prennent pour quinze ans. En moyenne car un certain nombre sera largué en route tandis que d'autres resteront coupés du monde pour quelques années encore.

Quinze ans à passer plus de temps avec instits et profs qu'avec tes parents. Et on s'étonne que la famille ne représente plus grand chose. Quinze ans à être parqués par centaines dans un espace clôturé. A voir tes journées découpées en rondelles de temps à respecter absolument. Quinze ans à voir tes "progrès" contrôlés et évalués en permanence. Quinze ans à être noté sur ta "valeur" : 150 bulletins de notes, 1500 verdicts: peut mieux faire.

A 8 ans, tu en sais beaucoup plus que papy et mamy. A 12 ans, tu en remontres à papa et maman. A 15 ans tu as honte de l'ignorance crasse de tes vieux. A 20 ans tu découvres, s'il te reste un peu de bon sens, que ce que tu sais ne correspond pas toujours à la réalité. Et que tout compte fait tu n'as pas appris grand chose en dehors de ce qu'il est indispensable de savoir pour être un bon petit consommateur.

Tout ça pour pouvoir entrer tête haute dans une société comptant 11 millions de chômeurs avoués et 6 millions d'exclus recensés (en 1999). Soit, en données corrigées des variations politiques, un quart de la population du pays sacrifié pour que les trois quarts restant conservent leurs oeillères et leur mode de vie. Une société où celui qui ne travaille pas est un moins que rien (sauf si papa est quelqu'un de notable).

Ces quinze ans d'éducation +/- nationalisée sont destinés à faire de toi un gagnant. A grands coups de sélections et de compétitions. Où le but n'est pas d'être bon mais d'être le meilleur, le vainqueur, le seul qui montera sur le podium. Un seul gagnant, tous les autres perdants.

Si, pour quelque raison que ce soit, tu n'as pas bien assimilé la leçon, tu fais bien de lire ces pages.

Dans la société selon Commerce, tout le monde doit consommer. Sinon cela ne fonctionne pas. Il est donc indispensable que même les exclus redeviennent des consommateurs.
« poser la question de savoir si c'est toi-même qui t'es exclu ou si c'est la société qui t'a claqué la porte au nez présente quelque intérêt »
C'est ainsi que la CAF et dans une moindre mesure la Sécu, les ASSEDIC, la COTOREP et les caisses de retraite sont devenus les principaux vecteurs de "socialisation". Ils assurent en toutes circonstances une distribution d'argent qui permet à tous de rester consommateur et de faire tourner la boutique.

A l'origine, l'idée était de diminuer l'impact des impondérables de la vie. En cas de pépin la société te file un coup de main, à charge pour toi de contribuer à la cagnotte quand tout va bien. Egalité, fraternité, et tout ça. Comment se retrouve-t-on alors avec un accroissement vertigineux des inégalités dans tous les domaines ? Chercher une réponse t'occupera pendant tes longues soirées solitaires.

Officiellement, tout le monde possède à la naissance la même "chance" de pouvoir se hisser sur la plus haute marche. Un coup d'oeil sur l'origine sociale des exclus laisse présager que le concours est quelque peu biaisé. Le test n'est là que pour rappeler des évidences qu'on finit facilement par négliger.

D'autre part, poser la question de savoir si c'est toi-même qui t'es exclu ou si c'est la société qui t'a claqué la porte au nez présente quelque intérêt. Là-dessus, tout a été dit, principalement contradictions et âneries. Toutefois, quelques vérités ont peut-être été sous-estimées. Si on recrute les bons exclus dans les catégories socialement malmenées, ce n'est pas par hasard.

Réfléchir sur ta réinsertion sans connaître ce qui a provoqué ton exclusion n'est pas une perte de temps, mais cela n'y va pas de beaucoup. L'expression traitement social est parfaitement adaptée : on essaie de soigner les effets visibles, les symptômes, en espérant que cela fera disparaître les causes. Certes, un peu d'optimisme ne peut pas nuire à ton affaire.

Ca te fatiguerait de montrer un peu plus de respect ?

Depuis que n'importe qui peut devenir exclu et que beaucoup ne s'en privent pas, l'Etat s'est mis en devoir de réinsérer tout ce beau monde. L'instauration du RMI aura au moins eu comme conséquence d'alimenter nombre de débats. Reste à savoir si ces débats ont eux-mêmes alimenté quelques affamés, mais ceci est une autre histoire.

Le French Way Of Life montre une certaine propension à oublier du monde sur les bas-côtés. Un bon 15%, en ne tenant compte que des cas les plus atteints. Cela commence à se voir sur la photo et ça fait désordre pour l'image de marque du pays. Mais il est facile d'y remédier : il n'y a qu'à réinstaller tout ce bas peuple dans le train de la consommation et le tour est joué. Moteur ? Action !

On te refile du fric, à charge pour toi de le remettre aussitôt dans le circuit commercial pour que l'opération soit financièrement blanche.
« celui qui n'a plus rien à perdre devient très dangereux. Quand il n'y en a qu'un petit nombre, cela sert à l'entraînement de la police, mais en cas de prolifération il faut réagir »
Deux ou trois mille balles par mois, tu peux considérer qu'il s'agit d'une subvention aux propriétaires de taudis ou d'hôtels à pauvres et aux distributeurs de produits de très basse qualité qui, eux, sont tous de bons contribuables.

D'autre part, tous ces gens qui traînent n'importe où et qui ne se lavent pas risquent de propager des maladies. Te soigner gratuitement ne fera pas grand effet sur le déficit de la Sécu, d'autant que tu as vu ce qu'il en était de la santé de l'exclu. Ca c'est de la bonne gestion, et on n'est pas obligé de dire partout que les nantis coûtent plus cher, et de beaucoup, à entretenir.

Accessoirement, les distributions de produits alimentaires issus de la surproduction permettent de fluidifier le marché, de maintenir les cours et de se faire mousser à la télé. Que du bon !

Les exclus sont tous des voleurs et des violeurs potentiels, tout le monde sait ça. Même l'Etat a fini par prendre conscience que celui qui n'a plus rien à perdre devient très dangereux pour son entourage. Quand il n'y en a qu'un petit nombre, cela sert à l'entraînement de la police, mais en cas de prolifération il faut réagir. Le RMI sert aussi à te redonner quelque chose à perdre et t'aide à te tenir tranquille. Pendant ce temps-là, le reste du monde peut continuer son bonhomme de chemin la conscience flattée : il vient de faire une bonne action.

Puisque notre société ne valorise que l'argent durement gagné à la sueur de son front (bien que ceux que leur travail fait physiquement suer soient les plus mal payés), l'Etat s'engage à favoriser ton retour sur le marché du travail. Ne te fais aucune illusion, ton seul boulot sera de t'inscrire comme demandeur d'emploi. Un gros volume de chômeurs calme les revendications salariales, restreint l'encartement syndical et suggère aux employés de la fermer sur leurs conditions de travail.

Cela permet aussi aux entreprises d'exploser les conventions collectives et autres avantages durement acquis par les anciens. Externalisation, sous-traitance, intérim, contrats à durée déterminée facilitent le contournement des accords d'entreprise récalcitrants.
« sacrifier une petite frange de la population pour que ceux qui sont productifs le soient plus encore »
Un exemple ? Le pingouin qui vient installer une prise téléphone chez toi ne travaille pas à France-Telecom mais pour France-Telecom, soit le même niveau de compétence, la même formation, le même travail, mais pas du tout les mêmes avantages. On trouve la même pratique à EDF ou à la SNCF pour ne parler que des gros trucs censés être à la pointe du progrès social d'après les syndicats. Tes conventions collectives, mon garçon, devine où tu peux te les mettre.

L'Etat lui-même use et abuse de la combine en étant le premier employeur de précaires (20% des fonctionnaires seraient des faux !). Il se permet d'en rajouter une couche en ne cotisant pas aux caisses de chômage, ce qui signifie que si tu bosses en bouche-trou pour l'Etat, tu risques de ne pas toucher d'indemnités de chômage lorsque l'échéance sera venue. Ton seul espoir est que ton contrat soit renouvelé indéfiniment, ce qui est parfois illégalement le cas. Presque fonctionnaire donc, mais sans les avantages du. L'espoir est une forte motivation pour filer droit.

Bref, si la machine fonctionne, c'est grâce à toi et à tes potes. Il suffit de sacrifier une petite frange de la population pour que ceux qui sont productifs le soient plus encore. Pour choisir qui sera exclu, on prend les plus fragiles, les plus faibles, les plus dépendants, les plus indépendants, tous ceux qui s'éloignent du modèle standard et le reste au hasard pour être équitable. Ce n'est pas compliqué à comprendre.

Si l'exclusion n'existait pas, vois-tu, il faudrait l'inventer.

Commentaires