L'argent?Cause principal de l'éxclusion passive.


Il est essentiel de ne pas te bloquer là-dessus, sous peine de te flinguer rapidement. Commence par rencontrer le maximum de monde, histoire de te faire connaître tout en faisant savoir partout que tu ne serais pas contre un peu de boulot de temps en temps.

Pour que ça marche, il faut que tu sois resté sociable. Si ce n'est pas le cas, tu vas vite t'apercevoir que tous les gens que tu connais, et tu as vite fait le tour, sont tous +/- exclus. Forcément. Exclusion, c'est pourtant clair, non ?

LE piège : l'endroit le plus évident pour rencontrer du monde est le café d'en bas. Tant que tu paieras des tournées, tu connaîtras du monde. En fin de mois, ça se gâte un peu. Le VRAI piège : inviter les "copains" à des Kronenbourg-party chez toi, en espérant faire des économies. LE problème : si tu vires tout ce qui picole, tu vas te sentir bien seul.

Dès que tu recommences à bosser, donc à avoir un peu de fric, tu retrouves soudainement beaucoup de copains perdus de vue. Choisis : tu essaies de t'en sortir en préservant un minimum de dignité, ou tu joues au grand seigneur tant qu'il te reste un peu de blé. Ca ne change pas grand-chose au résultat.

Tu peux poser la question autrement. Si tu essaies de bosser et de rester sérieux, tu perds l'estime de tes anciens collègues de galère. Sans pour autant retrouver celle des inclus, faut pas rêver. Il y a un no-man's-land entre ces deux mondes. T'y aventurer signifie prendre le risque de te faire tirer à vue depuis les deux côtés de la frontière. Dans tous les cas, tu es un traître.

Bienvenue en exclusion, camarade.


Au départ...Il est comme tout le monde.Et puis:

Un beau jour, il décide de s'inscrire au RMI. N'ayant pas de compte en banque, il perçoit son premier mois sous la forme d'une lettre-chèque à échanger contre du véritable argent auprès du Trésor Public local. Après s'être fait jeter de l'agence du Crédit Mutuel (c'était juste pour vérifier) ouvre un compte d'épargne à La Poste en déposant 20 euros. Eh oui, pas de pognon, pas de compte. Logique.


SDF en trois jours

Un pro de la chose (l'abbé Pierre) prétend qu'il suffit de trois jours pour devenir SDF convaincant. Quel que soit ton point de départ : cadre sup overbooké, smicard surexploité ou chômeur avéré, marié/deux enfants ou célibataire notoire. Trois jours seulement pour faire de toi un honnête SDF. Pourquoi hésiter plus longtemps ?

Trois jours sans manger autre chose que des sandwichs +/- SNCF.
Trois jours à craindre le sommeil et à t'éveiller la peur au ventre au moindre bruit.
Trois jours pour découvrir que les petits matins sont frais, même en plein été.
Trois jours sans te laver ni changer de linge.
Trois jours à marcher pendant des heures.
Trois jours à subir ton incapacité à aligner deux idées cohérentes.
Trois jours pour que les autres détournent le regard en te croisant.
Trois jours pour que toute ton éducation vole en éclat.
Trois jours pour briser ton appartenance au genre humain.


Trois jours. Et tu découvres que t'en as rien à foutre de puer le fauve, de pisser dans les encoignures de portes, de chier entre deux bagnoles en stationnement. Aveugle et sourd à tout ce qui t'entoure, alors les bonnes manières, hein, c'est pas l'jour...Faut que je vive...Faut que je SURVIVE..

Avec une obsession : manger et dormir. Manger et dormir. Manger, dormir. manger ,dormir
Moins que les préoccupations probables d'un chien ou d'un chat.

Tu ne peux que constater la disparition brutale de tout ce qui faisait de toi un homme. Et tu ne peux t'en apercevoir que les premiers jours car ça va vite. Très vite. Après, c'est trop tard, les comportements de survie auront pris le dessus.

Se retrouver à la rue sans un sou est une agression d'une violence extrême. De quoi basculer dans la folie ou se tourner vers la violence, donc vers la page "prison". En ce qui te concerne ? Disons que tu es solide.

Supposons que tu survives plus de trois jours

Tous les bons tortionnaires le savent : sous-alimentation, manque de sommeil et isolement sont les bases de toute torture et de tout lavage de cerveau de bonne facture. C'est rapide, efficace, et ça ne salit pas trop les mains. Tout cela fait qu'en quelques jours ton corps et ton esprit hurlent le manque. Tu as eu une vie avant, tu en auras une autre après. Peut-être. Tout le reste est poésie.

La solitude des premiers jours est effrayante. Nombreux sont ceux qui en garderont à jamais l'habitude de parler tout seul.

Il y a de grandes chances que tu finisses rapidement par traîner autour de la gare SNCF. Vaine tentative pour passer inaperçu ou saine tentation de changer de ville ? Quelle importance ? Dans les gares, les sans-abri sont censés être nombreux. Ceux que tu vois au premier coup d'oeil ne sont guère valorisants mais tu finiras bien par remarquer que tu n'es pas seul à attendre un train qui n'existe pas.

Mais voilà : la nuit toute les gares ferment leurs portes à ceux qui n'ont pas de billets. Te voilà dehors, sans la moindre idée de la direction à prendre. Alors tu marches, au hasard. Pendant des heures. De plus en plus engourdi par le froid, la faim, la fatigue, la lassitude, l'angoisse, en te demandant comment font les autres pour survivre.
Attention, danger ! Tu risques de te faire trouer la peau pour ce que tu pourrais avoir dans ton sac (un SDF, même apprenti, a toujours un sac). Ou d'enjamber un parapet de pont sans réfléchir, pour faire taire la souffrance. Ou d'agresser un passant en croyant te défendre.

Pour l'intérêt de ces pages, supposons que tu réussisses à survivre plus de trois jours, peu importe comment. Des deux préoccupations qui t'obsèdent, manger et dormir, la question de la nourriture est la plus facile à résoudre.

Les premiers temps, il suffit de faire la tournée des places de marché. Après le remballage, les commerçants laissent quantités de déchets sur place. Il n'y a qu'à se servir. La société de consommation étant ce qu'elle est, il y a d'excellents déchets. Pas d'hésitation à avoir, tu ne seras pas seul à fouiller les détritus. N'oublie pas les pommes. Aucune allusion politique, mais contrainte physiologique : il faut manger des aliments riches en fibres si tu ne veux pas chopper la courante. Parce que, la diarrhée, quand on est à la rue c'est un sacré problème...

Les fruits et légumes ça cale l'estomac mais cela ne protège pas du froid. Il te faut des protéines et des lipides. Pour t'en procurer il va falloir mettre tes beaux principes sous le boisseau. Dirige-toi vers les quartiers où se concentrent les restaurants. Il suffit alors d'attendre l'heure de fermeture pour faire les poubelles et le tour est joué.

Si ça te dégoûte trop il y a une autre possibilité mais c'est ta conscience d'honnête homme qui va morfler sur ce coup. Ces mêmes restaurants tu peux aussi les visiter tôt le matin avant l'ouverture. Une fois que les livreurs ont déposé les cartons de charcuterie devant la porte. Pense à vérifier tes lacets avant car il faut parfois courir vite. Et veille quand même à ne pas taxer plusieurs fois la même enseigne sous peine de tarir la source.

Si ce qui subsiste de ton éducation t'empêche de recourir à ces techniques, tu vas avoir un problème. Certes, il existe tout un réseau de distribution de casse-croûte aux indigents, mais pour y avoir accès il faut au préalable admettre que tu es indigent...

Tu peux envisager de faire la manche devant le Monoprix mais tant que tu n'auras pas intégré ton nouveau statut tu ne feras qu'indisposer les passants en t'énervant devant les refus. Presque toutes les villes ont des polices municipales qui n'aiment pas du tout qu'on indispose les passants.

Supposons (encore) que tu parviennes enfin à connaître les adresses où on te filera des casse-croûte gratos. Tu auras alors accompli le premier rite de passage. La nourriture cesse aussitôt d'être un problème, même si le sandwich te semble parfois amer.

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