réinsertion ...

Vu comme ça, la réinsertion peut ressembler à une vaste arnaque. Si tu es plus utile à la société en étant exclu qu'en trouvant du boulot, tu dois bien t'attendre à ce que ta situation s'éternise quelque peu. Pourquoi alors tout ce boucan sur la réinsertion, les stages de retour à l'emploi et les aides aux chômeurs ? Parce que, politiquement correct parlant, il est impossible de reconnaître qu'on a besoin des exclus pour faire évoluer le pays.

Et des millions d'exclus en colère, ça pourrait faire du vilain s'ils n'avaient pas un os ou deux à ronger. Quelques voitures brûlées et vitrines pillées en fins de manifs ne sont vraiment pas cher payé par rapport à la violence de l'exclusion.

L'une des caractéristiques principales de l'exclusion est que tout ce qui est censé être fait pour t'aider à en sortir est destiné tout au plus à te faciliter la misère au quotidien. Affirmer le contraire est méconnaître la réalité. Des arguments pour la démonstration ?

- Sans parler de la distribution de Vache-qui-rit ® qui t'empêche seulement de mourir de faim devant tout le monde, le régime alimentaire auquel tu vas te trouver soumis par manque de fric n'est pas fait pour te permettre d'utiliser au mieux ta force de travail.
- Les fringues d'occase que te refile le Secours Catho ou Popu servent de cache-misère. Sapé de frais, le clodo est plus difficile à distinguer dans une foule. Note que cela n'empêche pas tes collègues et les flics de te repérer de loin.
- La piaule que tu payes à coup d'allocations logement ? Une récente proposition de loi visant à compliquer, oh légèrement, la vie des marchands de sommeil est bien en sommeil quelque part, mais où ?
- Le RMI que les contribuables te versent si généreusement ? Largement suffisant pour ne pas crever. De là à prétendre refaire ta vie...
- Les petits boulots, intérim, CDD, stages rémunérés et autres CES ? Voir ci-dessus.
- L'allocation dégressive des ASSEDIC ? Tu peux considérer qu'il s'agit d'une préparation à l'exclusion. En un rien de temps tu te retrouves à gagner moins qu'un exclu débrouillard, alors dépêche-toi d'apprendre.
- L'allocation handicapé ? Déjà que tu es officiellement handicapé, si tu n'as que ça pour t'en sortir, t'es assez mal barré. Et tu voudrais bénéficier de la loi qui oblige les entreprises à embaucher des handicapés ? Mais elles préfèrent payer l'amende, voyons !
- Les soins gratuits ? Ça se saurait si l'exclu était en aussi bonne santé que le contribuable de base. Au point qu'il est difficile de démêler qui de la pathologie ou de l'exclusion fait la poule et qui fait l'oeuf.
- La possibilité de tout un chacun de fonder un foyer épanouissant ? Ah oui, bien sûr, bien sûr...
- Les rééducateurs professionnels toujours prêts à rendre service ? Justement.
- L'accès réservé à des emplois adaptés ou protégés ? C'est quoi déjà la définition de "ghetto" ?
- La dépendance dans laquelle tu te complais ? On te reproche assez de n'être qu'un assisté, mais comment faire autrement si tu n'as pas la moindre chance de redevenir maitre de ton avenir pour toutes les raisons qui précèdent ?
Muni de tout cela, si tu persistes encore à rester exclu, c'est vraiment que tu le veux bien.

L'exclusion, coco, c'est pour la vie. Ça ne veux pas dire que tu resteras exclu toute ta vie, mais qu'un passage par la case exclusion changera irrémédiablement ton séjour ici-bas. Outre des cicatrices à faire pâlir un légionnaire, une expérience réussie dans ce métier te donne de solides arguments pour contester l'ordre établi. Pas de raison de t'en priver, lui-même ne manquant aucune occasion de te stigmatiser.

Juste un léger problème : même en criant fort, tu ne risques pas d'émouvoir grand-monde dans ton désert. Pourquoi ne pas contacter l'une des nombreuses associations qui militent en faveur des moins-que-rien ? Le choix est vaste et rien ne t'interdit d'avoir une demi-douzaine de cartes pour ne prendre que ce qui t'intéresse dans chaque groupe.

Tu es sceptique quant au "sérieux" de ces rassemblements ? Tu es effrayé devant certaines de leurs actions ? Ne te laisses pas impressionner par les gesticulations médiatiques, l'essentiel du boulot se fait dans l'ombre, loin des caméras de télé et des calepins de journaleux.
« Remettre ton cher nombril à sa juste place, un parmi quelques millions d'autres, est un exercice salutaire »
L'administration, préfet en tête, dispose de beaucoup de pouvoir, même si elle préfère travailler discrètement pour ne pas avoir à assumer ses aberrations. Dans les faits, le nombre de dossiers débloqués en douce est considérable.

Dans ces "collectifs", tu pourras réapprendre à parler correct en fricotant avec des syndicalistes, des enseignants, des pros du social, des préretraités venus se ressourcer en se frottant avec la réalité de l'exclusion. Sans compter bon nombre que tu n'aurais jamais supposé qu'ils puissent être aussi exclus que toi. Ces points de contacts improbables entre deux mondes souvent présentés comme opposés sont réconfortants. Si la pensée unique existe ce n'est pas chez les individus mais dans les appareils institutionnels censés les représenter.

C'est dans les différents "collectifs" qu'on peut le mieux appréhender les conséquences de l'exclusion. Forcément, puisque s'y côtoient des représentants des deux planètes. C'est là que tu pourras tenter de faire comprendre ta vision des choses, c'est là aussi que tu pourras regarder autrement ta situation. Remettre ton cher nombril à sa juste place, un parmi quelques millions d'autres, est un exercice salutaire.

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